Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t13.djvu/328

Cette page n’a pas encore été corrigée

yeux en nous montrant de quels efforts la vertu nous rend capables. Elle ne réveille en nous la plus puissante & la plus douce de toutes les passions, que pour nous apprendre à la vaincre, en la faisant céder, quand le devoir l’exige, à des intérêts plus pressans & plus chers. Ainsi elle nous flatte & nous éleve tout à la fois, par l’expérience douce qu’elle nous fait faire de la tendresse de notre âme, & par le courage qu’elle nous inspire pour réprimer ce sentiment dans ses effets, en conservant le sentiment même.

Si donc les peintures qu’on fait de l’amour sur nos théâtres étoient dangereuses, ce ne pourroit être tout au plus que chez une nation déjà corrompue, à qui les remedes même serviroient de poison : aussi suis-je persuadé, malgré l’opinion contraire où vous êtes, que les représentations théâtrales sont plus utiles à un peuple qui a conservé ses mœurs, qu’à celui qui auroit perdu les siennes. Mais quand l’être présent de nos mœurs pourroit nous faire regarder la tragédie comme un nouveau moyen de corruption, la plupart de nos pieces me paroissent bien propres à nous rassurer à cet égard. Ce qui devroit, ce me semble, vous déplaire le plus dans l’amour que nous mettons si fréquemment sur nos théâtres, ce n’est pas la vivacité avec laquelle il est peint, c’est le rôle froid & subalterne qu’il y joue presque toujours. L’amour, si on en croit la multitude, est l’âme de nos tragédies ; pour moi, il m’y paroît presque aussi rare que dans le monde. La plupart des personnages de Racine même ont à mes yeux moins de passion que de métaphysique, moins de chaleur que de galanterie. Qu’est-ce que l’amour dans Mithridate, dans lphigénie,