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est si malheureuse & le plaisir si rare. Pourquoi envier aux hommes, destinés presque uniquement par la nature à pleurer & à mourir, quelques délassemens passagers, qui les aident à supporter l’amertume ou l’insipidité de leur existence ? Si les spectacles, considérés sous ce point de vue, ont un défaut à mes yeux, c’est d’être pour nous une distraction trop légere & un amusement trop foible, précisément par cette raison qu’ils se présentent trop à nous sous la seule idée d’amusement, & d’amusement nécessaire à notre oisiveté. L’illusion se trouvant rarement dans les représentations théâtrales, nous ne les voyons que comme un jeu qui nous laissé presque entiérement à nous. D’ailleurs le plaisir superficiel & momentané qu’elles peuvent produire, est encore affaibli par la nature de ce plaisir même, qui tout imparfait qu’il est, a l’inconvénient d’être trop recherché, &, si on peut parler de la sorte, appelle de trop loin. Il a fallu, ce me semble, pour imaginer un pareil genre de divertissement, que les hommes en eussent auparavant essayé & usé de bien des especes ; quelqu’un qui s’ennuyoit cruellement (c’étoit vraisemblablement un Prince) doit avoir eu la premiere idée de cet amusement rafiné, qui consiste à représenter sur des planches les infortunes & les travers de nos semblables pour nous consoler ou nous guérir des nôtres ; & à nous rendre spectateurs de la vie, d’acteurs que nous y sommes, pour nous en adoucir le poids & les malheurs. Cette réflexion triste vient quelquefois troubler le plaisir que je goûte au théâtre ; à travers les impressions agréables de la scene, j’apperçois de tems en tems, malgré moi & avec une sorte de chagrin, l’empreinte fâcheuse de son