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y parvenir ; j’ai fait toutes les suppositions possibles ; j’ai supposé l’imposture armée de tous les flambeaux de l’évidence. Je me suis dit, ils sont trompés ; leur erreur est invincible. Mais, me suis-je répondu, non-seulement ils sont trompés, mais loin de déplorer leur erreur, ils l’aiment, ils la chérissent. Tout leur plaisir est de me croire vil hypocrite & coupable. Ils craindroient comme un malheur affreux de me retrouver innocent & digne d’estime. Coupable ou non, tous leurs soins sont de m’ôter l’exercice de ce droit si naturel, si sacré de la fense de soi-même. Hélas ! toute leur peur est d’être forcés de voir leur injustice, tout leur desir est de l’aggraver. Ils sont trompés ? Hé bien supposons. Mais, trompés doivent-ils se conduire comme ils sont ? d’honnêtes gens peuvent-ils se conduire ainsi ? me conduirois-je ainsi moi-même à leur place ? Jamais, jamais. Je fuirois le scélérat ou confondrois l’hypocrite. Mais le flatter pour le circonvenir, seroit me mettre au-dessous de lui. Non, si j’abordois jamais un coquin que je croirois tel, ce ne seroit que pour le confondre & lui cracher au visage.

Après mille vains efforts inutiles pour expliquer ce qui m’arrive dans toutes les suppositions, j’ai donc cessé mes recherches, & je me suis dit : je vis dans une génération qui m’est inexplicable. La conduite de mes contemporains à mon égard ne permet à ma raison de leur accorder aucune estime. La haine n’entra jamais dans mon cœur. Le mépris est encore un sentiment trop tourmentant. Je ne les estime donc, ni ne les hais, ni ne les méprise. Ils sont nuls à mes yeux, ce sont pour moi des