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jamais elle n’a suffi seule pour déterminer un homme de bon sens à s’ôter la vie. Car enfin le pis qu’il en puisse arriver, est de mourir de faim, & l’on ne gagne pas grand’chose à se tuer pour éviter la mort. Il est pourtant des cas où la misere est terrible, insupportable, mais il en est où elle est moins dure à souffrir ; c’est le vôtre. Comment, Monsieur, à vingt ans, seul, sans famille, avec de la santé, de l’esprit, des bras, & un bon ami, vous ne voyez d’autre asyle contre la misere que le tombeau ? surement vous n’y avez pas bien regardé.

Mais l’opprobre......La mort est à préférer, j’en conviens mais encore faut-il commencer par s’assurer que cet opprobre est bien réel. Un homme injuste & dur vous persécute, il menace d’attenter à votre liberté. Eh bien, Monsieur, je suppose qu’il exécute sa barbare menace, serez-vous déshonoré pour cela ? Des sers déshonorent-ils l’innocent qui les porte ? Socrate mourut-il dans l’ignominie ? Et où est donc, Monsieur, cette superbe morale que vous étalez si pompeusement dans vos lettres, & comment avec des maximes si sublimes se rend-on ainsi l’esclave de l’opinion ? Ce n’est pas tout ; on diroit à vous entendre que vous n’avez d’autre alternative que de mourir ou de vivre en captivité. Et point du tout ; vous avez l’expédient tout simple de sortir de Paris ; cela vaut encore mieux que de sortir de la vie. Plus je relis votre lettre, plus j’y trouve de colere & d’animosité. Vous vous complaisez à l’image de votre sang jaillissant sur votre cruel parent ; vous vous tuez plutôt par vengeance que par désespoir, & vous songez moins à vous tirer d’affaire qu’à punir votre ennemi. Quand je lis les