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Le Souverain d’un grand Empire n’est guère au fond que le Ministre de ses Ministres, ou le représentant de ceux qui gouvernent sous lui. Ils sont obéis en son nom, & quand il croit leur faire exécuter sa volonté, c’est lui qui, sans le savoir, exécute la leur. Ce la ne sauroit être autrement, car comme il ne peut voir que par leurs yeux, il faut nécessairement qu’il lu laisse agir par ses mains. Forcé d’abandonner à d’autres ce qu’on appelle le détail,*

[*Ce qui importe aux citoyens, c’est d’être gouvernés justement & paisiblement. Au surplus, que l’Etat soit grand, puissant & florissant, c’est l’affaire particulière du Prince, & les sujets n’y ont aucun intérêt. Le Monarque doit donc premiérement s’occuper du détail, en quoi consiste la liberté civile, la sûreté du peuple & même la sienne à bien des égards. Après cela, s’il lui reste du temps à perdre, il peut le donner à toutes ces grandes affaires qui n’intéressent personne, qui ne naissent jamais que des vices du gouvernement, qui par conséquent ne sont rien pour un Peuple heureux, & sont peu de chose pour un Roi sage.] & que j’appellerois, moi, l’essentiel du Gouvernement, il se réserve les grandes affaires, le verbiage des Ambassadeurs, les tracasseries de ses favoris, & tout au plus le choix de ses maîtres ; car il en faut avoir malgré soi, si-tôt qu’on a tant d’esclaves. Que lui importe, au reste, une bonne ou une mauvaise administration ? Comment son bonheur seroit-il troublé par la misère du Peuple, qu’il ne peut voir ; par ses plaintes, qu’il ne peut entendre, & par les désordres publics dont il ne saura jamais rien ? Il en est de la gloire des Princes comme des trésors de cet insensé, propriétaire en idée de tous les vaisseaux qui arrivoient au port : l’opinion de jouir de tout l’empêchoit de rien désirer ; & il n’étoit pas moins heureux des richesses qu’il n’avoit point, que s’il les eût possédées.