Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/618

Cette page n’a pas encore été corrigée

jamais aller les choses au point qu’il est bon d’avoir prévu d’avance pour être prêts à tout événement.

Si vos affaires vos laissent quelques momens à donner à d’autres choses qui ne sont rien moins que pressées, en voici une qui me tient au cœur, & sur laquelle je voudrois vous prier de prendre quelque éclaircissement, dans quelqu’un des voyages que je suppose que vous serez à Lausanne, tandis que votre famille y sera. Vous savez que j’ai à Nion une tante qui m’a élevé & que j’ai toujours tendrement aimée, quoique j’aye une fois, comme vous pouvez vous en souvenir, sacrifié le plaisir de la voir à l’empressement d’aller avec vous joindre nos amis. Elle est fort vieille, elle soigne un mari fort vieux ; j’ai peur qu’elle n’ait plus de peine que son âge ne comporte, & je voudrois lui aider à payer une servante pour la soulager. Malheureusement, quoique je n’aye augmenté ni mon trai, ni ma cuisine, que je n’aye aucun domestique à mes gages, & que je sois ici logé & chaussé gratuitement, ma position me rend la vie ici si dispendieuse, que ma pension me suffit à peine pour les dépenses inévitables dont je suis chargé. Voyez, cher ami, si cent francs de France par an pourroient jetter quelque douceur dans la vie de ma pauvre vieille tante, & si vous pourriez les lui faire accepter. En ce cas, la premiere année courroit depuis le commencement de celle-ci, & vous pourriez la tirer sur moi d’avance, aussi-tôt que vous aurez arrangé cette petite affaire-là. Mais je vous conjure de voir que cet argent soit employé selon sa destination, & non pas au profit de parens ou voisins âpres, qui souvent obsedent les vieilles gens. Pardon, cher ami, je choisis bien mal mon tems ; mais il se peut qu’il n’y en ait pas à perdre.