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Je considere, Madame, qu’ayant près de soixante ans, accablé de malheurs & d’infirmités, les restes de mes tristes jours ne valent pas la fatigue de les mettre à couvert. Je ne vois plus rien dans cette vie qui puisse me flatter ni me tenter. Loin d’espérer quelque chose, je ne fais pas même que desirer. L’amour seul du repos me restoit encore, l’espoir m’en est ôté, je n’en ai plus d’autre. Je n’attends plus, je n’espere plus que la fin de mes miseres ; que je l’obtienne de la nature ou des hommes, cela m’est assez indifférent ; & de quelque maniere qu’on veuille disposer de moi, l’on me sera toujours moins de mal que de bien. Je pars de cette idée, Madame, je les mets tous au pis, & je me tranquillise dans ma résignation.

Il suit de-là que tous ceux qui veulent bien s’intéresser encore à moi, doivent cesser de se donner en ma faveur des mouvemens inutiles, remettre à mon exemple mon sort dans les mains de la providence, & ne plus vouloir résister à la nécessité. Voilà ma derniere résolution ; que ce soit la vôtre aussi, Madame, à mon égard, & même à l’égard de cette chere enfant que le Ciel vous enleve sans qu’aucun secours humain puisse vous la rendre. Que tous les soins que vous lui rendrez désormais soient pour contenter votre tendresse & la lui montrer, mais qu’ils ne réveillent plus en vous une espérance cruelle, qui donne la mort à chaque fois qu’on la perd.