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& s’éleva, pour ainsi dire, lui-même pour l’exécuter. Quoique très-prudent, il le confia à son frere, à sa famille, à sa femme aussi jeune que lui ; & après des préparatifs très-grands, très-lents, très-difficiles, le secret fut si bien gardé l’entreprise fut si bien concertée & eut un si plein succès, que jeune Fiesque étoit maître de Gênes au moment qu’il périt par un accident.

Je ne dis pas qu’il soit sage de révéler ces sortes de secrets, même à ses proches, sans la plus grande nécessité ; mais autre chose est, garder son secret, & autre chose, rompre avec ceux à qui on le cache. J’accorde même qu’en méditant un grand dessein, l’on est obligé de s’y livrer quelquefois au point d’oublier pour un tems, des devoirs moins pressans peut-être, mais non moins sacrés si-tôt qu’on peut les remplir. Mais que de propos délibéré, de gaîté de cœur, le sachant, le voulant, on ait, avec la barbarie de renoncer pour jamais à tout qui nous doit être cher, celle de l’accabler de cette déclaration cruelle, c’est, Madame, ce qu’aucune situation imaginable ne peut ni autoriser, ni suggérer même à un homme dans son bon sens qui n’est pas un monstre. Ainsi je conclus, quoiqu’à regret, que votre Cassius est fou tout au moins, & je vous avoue qu’il m’a tout-à-fait l’air d’un ambitieux embarrassé de sa femme, qui veut couvrir du manque de l’héroïsme son inconstance & ses projets d’agrandissement. Or, ceux qui savent employer à son âge de pareilles ruses, sont des gens qu’on ne ramene jamais, & qui rarement en valent la peine.

Il se peut, Madame, que je me trompe ; c’est à vous d’en juger. Je voudrois avoir des choses plus agréables à vous dire :