Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/558

Cette page n’a pas encore été corrigée

souper, gardant tous deux le silence au coin de son feu, je m’apperçois, qu’il me fixe, comme il lui arrivoit souvent & d’une maniere dont l’idée est difficile à rendre. Pour cette fois, son regard sec, ardent, moqueur & prolongé devint plus qu’inquiétant. Pour m’en débarrasser, j’essayai de le fixer à mon tour ; mais en arrêtant mes yeux sur les siens, je sens un frémissement inexplicable, & bientôt je suis forcé de les baisser. La physionomie & le ton du bon David sont d’un bon homme, mais où, grand Dieu ! ce bon homme emprunte-t-il les yeux dont il fixe ses amis ?

L’impression de ce regard me reste & m’agite ; mon trouble augmente jusqu’au saisissement : si l’épanchement n’eût succédé, j’étouffois. Bientôt un violent remords me gagne ; je m’indigne de moi-même ; enfin dans un transport que je me rappelle encore avec délices, je m’élance à son cou, je le serre étroitement ; suffoqué de sanglots, inondé de larmes, je m’écrie d’une voix entrecoupée : Non, non David Hume n’est pas un traître ; s’il n’étoit le meilleur des hommes, il faudroit qu’il en fût le plus noir. David Hume me rend poliment mes embrassemens, & tout en me frappant de petits coups sur le dos, me répete plusieurs fois d’un ton tranquille : Quoi, mon cher Monsieur ! Eh mon cher Monsieur ! Quoi donc, mon