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LETTRE À M. D*****.

Motiers le 7 Février 1765.

Je ne doute point, Monsieur, qu’hier jour de Deux-Cent, on n’ait brûlé mon livre à Geneve ; du moins toutes les mesures étoient prises pour cela. Vous aurez su-qu’il fut brûlé le 22 à la Haye. Rey me marque que l’Inquisiteur*

[*M. de Voltaire.] a écrit dans ce pays-là beaucoup de lettres, & que le Ministre Ch *****. de Geneve s’est donné de grands mouvemens. Au surplus on laisse Rey fort tranquille. Tout cela n’est-il pas plaisant ? Cette affaire s’est tramée avec beaucoup de secret & de diligence ; car le Comte de B*****, qui m’écrivit peu de jours auparavant, n’en savoit rien. Vous me direz ; pourquoi ne l’a-t-il pas empêchée au moment de l’exécution ? Monsieur, j’ai par-tout des amis puissans, illustres, & qui, j’en suis très-sûr, m’aiment de tout leur cœur ; mais ce sont tous gens droits, bons, doux, pacifiques, qui dédaignent toute voie oblique. Au contraire, mes ennemis sont ardens, adroits, intrigans, rusés, infatigables pour nuire, & qui manœuvrent toujours sous terre, comme les taupes. Vous sentez que la partie n’est pas égale. L’Inquisiteur est l’homme le plus actif que la terre ait produit ; il gouverne en quelque façon toute l’Europe.

Tu dois régner, ce monde est fait pour les méchans.

Je suis très-sûr qu’à moins que je ne lui survive, je serai persécuté jusqu’à la mort.