LETTRE À MADAME LA M. DE V.
Motiers le 3 Février 1765.
Au milieu des soins que vous donne, Madame, le zele pour votre famille, & au premier moment de votre convalescence, vous vous occupez de moi ; vous prossentez les nouveaux dangers où vont me replonger les fureurs de mes ennemis, indignés que j’aye osé montrer leur injustice. Vous ne vous trompez pas, Madame ; on ne peut rien imaginer de pareil à la rage qu’ont excité les Lettres de la Montagne. Messieurs de Berne viennent de défendre cet ouvrage en termes très-insultans ; je ne serois pas surpris qu’on me fît un mauvais parti sur leurs terres, lorsque j’y remettrai le pied. Il faut en ce pays même toute la protection du Roi pour m’y laisser en sureté ; le Conseil de Geneve, qui souffle le feu tant ici qu’en Hollande, attend le moment d’agir ouvertement à son tour, & d’achever de m’écraser s’il lui est possible. De quelque côté que je me tourne, je ne vois que griffes pour me déchirer, & que gueules ouvertes pour m’engloutir. J’espérois du moins plus d’humanité du côté de la France, mais j’avois tort ; coupable du crime irrémissible d’être injustement opprimé, je n’en dois attendre que mon coup de grace. Mon parti est pris, Madame ; je lasserai tout faire, tout dire, & je me tairai ; ce n’est pourtant pas faute d’avoir à parler.
Je sens qu’il est impossible qu’on me laisse respirer en paix