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LETTRE À MADAME LA C. DE B.

Motiers le 26 Août 1764.

Après les preuves touchantes, Madame, que j’ai eues de votre amitié dans les plus cruels momens de ma vie, il y auroit à moi de l’ingratitude de n’y pas compter toujours ; mais il faut pardonner beaucoup à mon état ; la confiance abandonne les malheureux, & je sens au plaisir que m’a fait votre lettre, que j’ai besoin d’être ainsi rassuré quelquefois. Cette consolation ne pouvoit me venir plus à propos : après tant de pertes irréparables, & en dernier lieu celle de Monsieur de Luxembourg, il m’importe de sentir qu’il me reste des biens assez précieux pour valoir la peine de vivre. Le moment où j’eus le bonheur de le connoître ressembloit beaucoup à celui où je l’ai perdu ; dans l’un & dans l’autre j’étois affligé, délaissé, malade. Il me consola de tout, qui me consolera de lui ? Les amis que j’avois avant de le perdre ; car mon cœur usé par les maux, & déjà durci par les ans, est fermé désormais à tout nouvel attachement.

Je ne puis penser, Madame, que dans les critiques qui regardent l’éducation de Monsieur votre fils, vous compreniez ce que, sur le parti que vous avez pris de l’envoyer à Leyde, j’ai écrit au chevalier de L****. Critiquer quelqu’un, c’est blâmer dans le public sa conduite ; mais dire son sentiment à un ami commun sur un pareil sujet, ne s’appellera jamais critiquer ;