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LETTRE À MYLORD MARÉCHAL.

Motiers le 21 Août 1764.

Le plaisir que m’a causé, Mylord, la nouvelle de votre heureuse arrivée à Berlin par votre lettre du mois dernier, a été retardé par un voyage que j’avois entrepris, & que la lassitude & le mauvais tems m’ont fait abandonner à moitié chemin. Un premier ressentiment de sciatique, mal héréditaire dans ma famille, m’effrayoit avec raison. Car jugez de ce que deviendroit cloué dans sa chambre un pauvre malheureux qui n’a d’autre soulagement, ni d’autre plaisir dans la vie que la promenade & qui n’est plus qu’une machine ambulante ? Je m’étois donc mis en chemin pour Aix, dans l’intention d’y prendre la douche, & aussi d’y voir mes bons amis les Savoyards, le meilleur peuple, à mon avis, qui soit sur la terre. J’ai fait la route jusqu’à Morges, pédestrement à mon ordinaire, allez caressé par-tout. En traversant le lac, & voyant de loin les clochers de Geneve, je me suis surpris à soupirer aussi lâchement que j’aurois fait jadis pour une perfide maîtresse. Arrivé à Thonon, il a fallu rétrograder, malade, & sous une pluie continuelle. Enfin me voici de retour, non cocu à la vérité, mais battu, mais content, puisque j’apprends votre heureux retour auprès du Roi, & que mon protecteur & mon pere aime toujours sou enfant.

Ce que vous m’apprenez de l’affranchissement des Paysans