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LETTRE À LA MÊME.

Motiers le 4 Novembre 1764.

Si votre situation, Mademoiselle, vous laisse à peine le tems de m’écrire, vous devez concevoir que la mienne m’en laisse encore moins pour vous répondre. Vous n’êtes que dans la dépendance de vos affaires, & des gens à qui vous tenez ; & moi je suis dans celle de toutes les affaires & de tout le monde, parce que chacun me jugeant libre, veut par droit de premier occupant disposer de moi. D’ailleurs, toujours harcelé, toujours souffrant, accablé d’ennuis, & dans un état pire que le vôtre, j’emploie à respirer le peu de momens qu’on me laisse ; je suis trop occupé pour n’être pas paresseux. Depuis un mois, je cherche un moment pour vous écrire à mon aise : ce moment ne vient point ; il faut donc vous écrire à la dérobée ; car vous m’intéressez trop pour vous laisser sans réponse. Je connois peu de gens qui m’attachent davantage, & personne qui m’étonne autant que vous.

Si vous avez trouvé dans ma lettre beaucoup de choses qui ne quadroient pas à la vôtre : c’est qu’elle étoit écrite pour une autre que vous. Il y a dans votre situation des rapports si frappans avec celle d’une autre personne, qui, précisément étoit à Neufchâtel quand je reçus votre lettre, que je ne doutai point que cette lettre ne vînt d’elle, & je pris le change, dans l’idée qu’on cherchoit à me le donner. Je vous parlai donc moins