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LETTRE À MADEMOISELLE D. M.

Le 7 Mai 1764.

Je ne prends pas le change, Henriette, sur l’objet de votre lettre, non plus que sur votre date de Paris. Vous recherchez moins mon avis sur le parti que vous avez à prendre, que mon approbation pour celui que vous avez pris. Sur chacune de vos lignes, je lis ces mots écrits en gros caracteres : Voyons si vous aurez le front de condamner à ne plus penser, ni lire, quelqu’un qui pense & écrit ainsi. Cette interprétation n’est assurément pas un reproche, & je ne puis que vous savoir gré de me mettre au nombre de ceux dont les jugemens vous importent. Mais en me flattant, vous n’exigez pas, je crois, que je vous flatte ; & vous déguiser mon sentiment, quand il y va du bonheur de votre vie, seroit mal répondre à l’honneur que vous m’avez fait.

Commençons par écarter les délibérations inutiles. Il ne s’agit plus de vous réduire à coudre & broder. Henriette, on ne quitte pas sa tête comme son bonnet, & l’on ne revient pas plus à la simplicité qu’à l’enfance ; l’esprit une fois en effervescence, y reste toujours, & quiconque a pensé, pensera toute sa vie. C’est-là le plus grand malheur de l’état de réflexions ; plus on en sent les maux, plus on les augmente, & tous nos efforts pour en sortir, ne sont que nous y embourber plus profondément.