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LETTRE À M. WATELET.

Motiers, 1763.

Vous me traitez en Auteur, Monsieur ; vous me faites des complimens sur mon livre. Je n’ai rien à dire à cela, c’est l’usage. Ce même usage veut aussi, qu’en avalant modestement votre encens, je vous en renvoie une bonne partie. Voilà pourtant ce que je ne serai pas ; car quoique vous ayez des talens très-vrais, très-aimables, les qualités que j’honore en vous, les effacent à mes yeux ; c’est par elles que je vous suis attaché ; c’est par elles que j’ai toujours desiré votre bienveillance ; & l’on ne m’a jamais vu rechercher les gens à talens qui n’avoient que des talens. Je m’applaudis pourtant de ceux auxquels vous m’assurez que je dois votre estime, puisqu’ils me procurent un bien dont je fais tant de cas. Les miens tels quels, ont cependant si peu dépendu de ma volonté, ils m’ont attiré tant de maux, ils m’ont abandonné si vite, que j’aurois bien voulu tenir cette amitié dont vous permettez que je me flatte, de quelque chose qui m’eût été moins funeste, & que je pusse dire être plus à moi.

Ce sera, Monsieur, pour votre gloire, au moins je le desire & je l’espere, que j’aurai blâmé le merveilleux de l’Opéra. Si j’ai eu tort, comme cela peut très-bien être, vous m’aurez réfuté par le fait ; & si j’ai raison, le succès dans un mauvais genre, n’en rendra votre triomphe que plus éclatant. Vous