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Je ne vous dirai rien, Monsieur le Maréchal, de leur gouvernement & de leur politique, parce que cela me meneroit trop loin, & que je ne veux vous parler que de ce que j’ai vu. Quant au Comté de Neufchâtel où j’habite, vous savez qu’il appartient au Roi de Prusse. Cette petite Principauté, après avoir été démembrée du royaume de Bourgogne & passé successivement dans les maisons de Châlons, d’Hochberg & de Longueville, tomba enfin en 1707 dans celle de Brandebourg par la décision des Etats du pays, juges naturels des droits des prétendans. Je n’entrerai point dans l’examen des raisons sur lesquelles le Roi de Prusse fut préféré au Prince de Cotai, ni des influences que purent avoir d’autres Puissances dans cette affaire ; je me contenterai de remarquer que dans la concurrence entre ces deux Princes, c’étoit un honneur qui ne pouvoir manquer aux Neufchâtelois d’appartenir un jour à un grand Capitaine. Au reste, ils ont conservé sous leurs Souverains à-peu -près la même liberté qu’ont les autres Suisses ; mais peut-être en sont-ils plus redevables à leur position qu’à leur habileté ; car je les trouve bien remuans pour des gens sages.

Tout ce que je viens de remarquer des Suisses en général caractérise encore plus fortement ce peuple-ci, & le contraste du naturel & de l’imitation s’y fait encore mieux sentir, avec cette différence pourtant que le naturel a moins d’étoffe, & qu’à quelque petit coin près, la dorure couvre tout le fond. Le pays, si l’on excepte la ville & les bords du lac, est aussi rude que le reste de la Suisse, la vie y est aussi rustique ; & les habitans accoutumés à vivre sous des Princes, s’y sont encore plus affectionnés aux grandes manieres ; de sorte qu’on trouve