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mais par la force des choses. En transportant dans leurs bois les usages des grandes villes, ils les appliquent de la façon la plus comique ; ils ne savent ce que c’est qu’habits de campagne ils sont parés dans leurs rochers comme ils l’étoient à Paris ils portent sous leurs sapins tous les pompons du Palais-Royal & j’en ai vu revenir de faire leurs soins en petite velte à falbala de mousseline. Leur délicatesse a toujours quelque chose de grossier, leur luxe a toujours quelque chose de rude. Ils ont, des entremets, mais ils mangent du pain noir ; ils servent des vins étrangers & boivent de la piquette ; des ragoûts fins accompagnent leur lard rance & leur choux ; ils vous offriront à déjeuné du casé & du fromage, à goûté du thé avec du jambon ; les femmes ont de la dentelle & de fort gros linge, des robes de goût avec des bas de couleur : leurs valets alternativement laquais & bouviers, ont l’habit de livrée en servant à table & mêlent l’odeur du fumier à celle des mets.

Comme on ne jouit du luxe qu’en le montrant, il a rendu leur société plus familiers sans leur ôter pourtant le goût de leurs demeures isolées. Personne ici n’est surpris de me voir passer l’hiver en campagne ; mille gens du monde en sont tout autant. On demeure donc toujours séparés, mais on se rapproche par de longues & fréquentes visites. Pour étaler sa parure & ses meubles, il faut attirer ses voisins & les aller voir & comme ces voisins sont souvent allez éloignés ce sont des voyages continuels. Aussi jamais n’ai-je vu de peuple si allant que les Suisses ; les François n’en approchent pas. Vous ne rencontrez de toutes parts que voitures ; il n’y a pas une maison qui n’ait la sienne, & les chevaux dont la Suisse abonde ne sont