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cher quelque lieu sauvage dans la forêt, quelque lieu désert où rien ne montrant la main des hommes, n’annonçât la servitude & la domination, quelque asyle où je pusse croire avoir pénétré le premier, & où nul tiers importun ne vînt s’interposer entre la nature & moi. C’étoit là qu’elle sembloit déployer à mes yeux une magnificence toujours nouvelle. L’or des genêts, & la pourpre des bruyeres frappoient mes yeux d’un luxe qui touchoit mon cœur ; la majesté des arbres qui me couvroient de leur ombre, la délicatesse des arbustes qui m’environnoient, l’étonnante variété des herbes & des fleurs que je foulois sous mes pieds, tenoient mon esprit dans une alternative continuelle d’observation & d’admiration : le concours de tant d’objets intéressans qui se disputoient mon attention, m’attirant sans cesse de l’un à l’autre, favorisoit mon humeur rêveuse & paresseuse, & me faisoit souvent redire en moi-même ; non, Salomon dans toute sa gloire ne fut jamais vêtu comme l’un d’eux.

Mon imagination ne laissoit pas long-tems déserte la terre ainsi parée. Je la peuplois bientôt d’êtres selon mon cœur, & chassant bien loin l’opinion, les préjugés, toutes les passions factices, je transportois dans les asyles de la nature, des hommes dignes de les habiter. Je m’en formois une société charmante dont je ne me sentois pas indigne, je me faisois un siecle d’or à ma fantaisie, & remplissant ces beaux jours de toutes les scenes de ma vie, qui m’avoient laissé de doux souvenirs, & de toutes celles que mon cœur pouvoit desirer encore, je m’attendrissois jusqu’aux larmes sur les vrais plaisirs de l’humanité, plaisirs si délicieux, si purs, & qui sont