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le conserver ; on trouve qu’il existe ; & ceux qui ne sentent pas en eux-mêmes assez de poids pour le rompre, couvrent leurs vues particulieres du prétexte de le soutenir. Mais qu’on y songe ou non, cet équilibre subsiste, & n’a besoin que de lui-même pour se conserver, sans que personne s’en mêle ; & quand il se romproit un moment d’un côté, il se rétabliroit bientôt d’un autre : de sorte que si les Princes qu’on accusoit d’aspirer à la Monarchie universelle y ont réellement aspiré, ils montroient en cela plus d’ambition que de génie ; car comment envisager un moment ce projet, sans en voir aussitôt le ridicule ? Comment ne pu sentir qu’il n’y a point de Potentat en Europe assez supérieur aux autres, pour pouvoir jamais en devenir le maître ? Tous les Conquérans qui ont fait des révolutions, se présentoient toujours avec des forces inattendues, ou avec des troupes étrangeres & différemment aguerries, à des Peuples ou désarmés, ou divisés, ou sans discipline ; Mais où prendroit un Prince Européen des forces inattendues pour accabler tous les autres, tandis que le plus puissant d’entr’eux est une si petite partie du tout, & qu’ils ont de concert une si grande vigilance ? Aura-t-il plus de troupes qu’eux tous ? Il ne le peut, ou n’en sera que plutôt ruiné, ou ses troupes seront plus mauvaises, en raison de leur plus grand nombre. En aura-t-il de mieux aguerries ? Il en aura moins à proportion. D’ailleurs la discipline est par-tout à-peu-près la même, ou le deviendra dans peu. Aura-t-il plus d’argent ? Les sources en sont communes, & jamais l’argent ne fit de grandes conquêtes. Fera-t-il une invasion subite ? La famine ou des places fortes l’arrêteront à chaque pas. Voudra-t-il