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cœur, ne m’as-tu pas enrichi ? Que fait tout le reste aux maux du corps & aux soucis de l’ame ? Ce dont j’ai faim, c’est d’un ami ; je ne connois point d’autre besoin auquel je ne suffise moi-même. La pauvreté ne m’a jamais fait de mal ; soit dit pour vous tranquilliser là-dessus une fois pour toutes.

Nous sommes d’accord sur tant de choses, que ce n’est pas la peine de nous disputer sur le reste. Je vous l’ai dit bien des fois ; nul homme au monde ne respecte plus que moi l’Evangile, c’est, à mon gré, le plus sublime de tous les livres ; quand tous les autres m’ennuient, je reprends toujours celui-là avec un nouveau plaisir, & quand toutes les consolations humaines m’ont manqué, jamais je n’ai recouru vainement aux siennes. Mais enfin c’est un livre, un livre ignoré des trois quarts du monde, croirai-je qu’un Scythe ou un Africain, soient moins chers au Pere commun que vous & moi, & pourquoi croirai-je qu’il leur ait ôté plutôt qu’à nous, les ressources pour le connoître ? Non, mon digne ami ; ce n’est point sur quelques feuilles éparses qu’il faut aller chercher la loi de Dieu, mais dans le cœur de l’homme, où sa main daigna l’écrire. Ô homme, qui que tu sois, rentre en toi-même, apprends à consulter ta conscience & tes facultés naturelles ; tu seras juste, bon vertueux, tu t’inclineras devant ton maître, & tu participeras dans son ciel à un bonheur éternel Je ne me fie là-dessus ni à ma raison ni à celle d’autrui, mais je sens à la paix de mon ame, & au plaisir que je sens à vivre, & penser sous les yeux du grand Etre, que je ne m’abuse point dans les jugemens que je fais de lui,