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venir de mal faire ? Moi qui ne cherche que la solitude & la paix, moi dont le souverain bien consiste dans la paresse & l’oisiveté, moi dont l’indolence & les maux me laissent à peine le tems de pourvoir à ma subsistance, à quel propos, à quoi bon m’irois-je plonger dans les agitations du crime, & m’embarquer dans l’éternel manége des scélérats ? Quoique vous en diriez, on ne suit point les hommes quand on cherche à leur nuire ; le méchant peut méditer ses coups dans la solitude, mais c’est dans la société qu’il les porte. Un fourbe a de l’adresse du sang-froid ; un perfide se possede & ne s’emporte point : reconnoissez-vous en moi quelque chose de tout cela ? Je suis emporté dans la colere, & souvent étourdi de sang-froid. Ces défauts sont-ils le méchant ? Non sans doute ; mais le méchant en profite pour perdre celui qui les a.

Je voudrois que vous pussiez aussi réfléchir un peu sur vous-même. Vous vous fiez à votre bonté naturelle ; mais savez-vous à quel point l’exemple & l’erreur peuvent la corrompre ? N’avez-vous jamais craint d’être entouré d’adulateurs adroits qui n’évitent de louer grossérement en face, que pour s’emparer plus adroitement de vous sous l’appât d’une feinte sincérité ? Quel sort pour le meilleur des hommes d’être égaré par sa candeur même, & d’être innocemment dans la main des méchans l’instrument de leur perfidie ! Je sais que l’amour-propre se révolte à cette idée, mais elle mérite l’examen de la raison.

Voilà des considérations que je vous prie de bien peser. Pensez-y long-tems avant que de me répondre. Si elles ne vous touchent pas, nous n’avons plus rien à nous dire ; mais