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variant incessamment selon les tems & les lieux, il est plein de règles contradictoires, qui ne se peuvent concilier que par le droit du plus fort ; de sorte que la raison sans guide assuré, se pliant toujours vers l’intérêt personnel dans les choses douteuses, la guerre seroit encore inévitable, quand même chacun voudroit être juste. Tout ce qu’on peut faire avec de bonnes intentions, c’est de décider ces sortes d’affaires par la voie des armes, ou de les assoupir par des Traités passagers ; mais bientôt aux occasions qui raniment les mêmes querelles, il s’en joint d’autres qui les modifient ; tout s’embrouille, tout se complique ; on ne voit plus rien au fond des choses ; l’usurpation passe pour droit, la foiblesse pour injustice ; & parmi ce désordre continuel, chacun se trouve insensiblement si fort déplacé, que si l’on pouvoit remonter au droit solide & primitif, il y auroit peu de Souverains en Europe qui ne dussent rendre tout ce qu’ils ont.

Une autre semence de guerre, plus cachée & non moins réelle, c’est que les choses ne changent point de forme en changeant de nature ; que des Etats héréditaires en effet, restent électifs en apparence ; qu’il y ait des Parlemens ou Etats nationaux dans des Monarchies, des Chefs héréditaires dans des Républiques ; qu’une Puissance dépendante

d’une autre, conserve encore une apparence de liberté ; que tous les Peuples, soumis au même pouvoir, ne soient pas gouvernés par les mêmes loix ; que l’ordre de succession soit différent dans les divers Etats d’un même Souverain ; enfin que chaque Gouvernement tende toujours à s’altérer, sans que il soit possible d’empêcher ce progrès. Voilà les causes générales & particulieres