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Je pourrois me plaindre qu’une plaisanterie, faite il y a plus de trente ans, sur le même sujet que Chapelain eut la bêtise de traiter sérieusement, court aujourd’hui le monde par l’infidélité & l’infâme avarice de ces malheureux, qui l’ont défigurée avec autant de sottise que de malice, & qui, au bout de trente ans, vendent par-tout cet ouvrage, lequel certainement n’est plus le mien, & qui est devenu le leur. J’ajouterois qu’en dernier lieu, on a osé souiller dans les archives les plus respectables, & y voler une partie des mémoires que j’y avois mis en dépôt, lorsque j’étois Historiographe de France, & qu’on a vendu à un Libraire de Paris le fruit de mes travaux. Je vous peindrois l’ingratitude, l’imposture, & la rapine me poursuivant jusqu’aux pieds des Alpes, & jusqu’au bord de mon tombeau.

Mais, Monsieur, avouez aussi que ces épines attachées à la littérature & à la réputation, ne sont que des fleurs en comparaison des autres maux qui de tous tems ont inondé la terre. Avouez que ni Cicéron, ni Lucrece, ni Virgile, ni Horace, ne furent les auteurs des proscriptions de Marius, de Sylla, de ce débauché d’Antoine, de cet imbécille Lépide, de ce tyran sans courage Octave Cepias surnommé si lâchement Auguste.

Avouez que le badinage de Marot n’a pas produit la St. Barthelemi, & que la tragédie du Cid ne causa pas les guerres de la Fronde, Les grands crimes n’ont été commis que par de célebres ignorans. Ce qui fait & sera toujours de ce monde une vallée de larmes, c’est l’insatiable cupidité & l’indomptable orgueil des hommes, depuis Thamas Kouli-Kan qui ne savoir pas lire, jusqu’à un commis de la douane qui ne sait que chiffre.