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cette sureté nécessaire à la formation d’un recueil. Si le vôtre est excellent, qui le sentira ? S’il est médiocre & par conséquent détestable ; aussi ridicule que le mercure Suisse, il mourra de sa mort naturelle après avoir amusé pendant quelques mois les caillettes du pays de Vaud. Croyez-moi, Monsieur, ce n’est point cette espece d’ouvrage qui nous convient. Des ouvrages graves & profonds peuvent nous honorer, tout le colifichet de cette petite philosophie à la mode nous va fort mal. Les grands objets tels que la vertu & la liberté étendent & fortifient l’esprit, les petits tels que la poésie & les beaux-arts lui donnent plus de délicatesse & de subtilité. Il faut un télescope pour les uns & un microscope pour les autres, & les hommes accoutumés à mesurer le ciel, ne sauroient disséquer des mouches ; voilà pourquoi Genève est le pays de la sagesse & de la raison, & Paris le siége du goût. Laissons-en donc les rafinemens à ces myopes de la littérature, qui passent leur vie à regarder des cirons au bout de leur nez ; sachons être plus fiers du goût qui nous manque qu’eux de celui qu’ils ont ; & tandis qu’ils seront des journaux & des brochures pour les ruelles, tâchons de faire des livres utiles & dignes de l’immortalité.

Après vous avoir tenu le langage de l’amitié, je n’en oublierai pas les procédés, & si vous persistez dans votre projet, je serai de mon mieux un morceau tel que vous le souhaiterez pour y remplir un vide tant bien que mal.