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ne sais quelle circonspection pusillanime fort goûtée en ce siecle, & qui, voyant par-tout des inconvéniens, se borne par sagesse, à ne faire ni bien ni mal ; j’aime mieux une hardiesse généreuse qui, pour bien faire, secoue quelquefois le puérile joug de la bienséance.

Qu’un zele indiscret m’abuse peut-être, que prenant mes erreurs pour des vérités utiles, avec les meilleures intentions du monde je puisse faire plus de mal que de bien ; je n’ai rien à répondre à cela, si ce n’est, qu’une semblable raison devroit retenir tout homme droit, & laisser l’univers à la discrétion du méchant & de l’étourdi, parce que les objections, tirées de la seule foiblesse de la nature, ont force contre quelque homme que ce soit, & qu’il n’y a personne qui ne dût être suspect à soi-même, s’il ne se reposoit de la justesse de les lumieres sur la droiture de son cœur ; c’est ce que je dois pouvoir faire sans témérité, parce qu’isolé parmi les hommes, ne tenant à rien dans la société, dépouillé de toute espece de prétention, & ne cherchant mon bonheur même que dans celui des autres, je crois, du moins, être exempt de ces préjugés d’état qui sont plier le jugement des plus sages aux maximes qui leur sont avantageuses. Je pourrois, il est vrai, consulter des gens plus habiles que moi, & je le serois volontiers, si je ne savois que leur intérêt me conseillera toujours avant leur raison. En un mot, pour parler ici sans détour, je me fie encore plus à mon désintéressement, qu’aux lumieres de qui que ce puisse être.

Quoi qu’en général, je fasse très-peu de cas des étiquettes de procédés, & que j’en aye depuis long-tems secoué le joug