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LETTRE À M. P***. À GENEVE.

Paris le 28 Novembre 1754.

En répondant avec franchise à votre dernière lettre, en déposant mon cœur & mon sort entre vos mains, je crois, Monsieur, vous donner une marque d’estime & de confiance moins équivoque que des louanges & des complimens, prodigués par la flatterie plus souvent que par l’amitié.

Oui, Monsieur, frappé des conformités que je trouve entre la constitution de gouvernement qui découle de mes principes, & celle qui existe réellement dans notre République, je me suis proposé de lui dédier mon Discours sur l’origine & les fondemens de l’inégalité, & j’ai saisi cette occasion comme un heureux moyen d’honorer ma Patrie & ses chefs par de justes éloges, d’y porter, s’il se peut, dans le fond des cœurs, l’olive que je ne vois encore que sur des médailles, & d’exciter en même tems les hommes à se rendre heureux par l’exemple d’un peuple qui l’est ou qui pourroit l’être sans rien changer à son institution. Je cherche en cela, selon ma coutume moins à plaire qu’à me rendre utile : je ne compte pas en particulier sur le suffrage de quiconque est de quelque parti ; car n’adoptant pour moi que celui de la justice & de la raison, je ne dois gueres espérer que tout homme qui suit d’autres réglés, puisse être l’approbateur des miennes, & si cette