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choses au-delà de la vérité, ni confondre comme faisoient les Stoïciens le bonheur avec la vertu. Il est certain que faire le bien pour le bien c’est le faire pour soi, pour notre propre intérêt, puisqu’il donne à l’ame une satisfaction intérieure, un contentement d’elle-même sans lequel il n’y a point de vrai bonheur. Il est sûr encore que les méchans sont tous misérables, quel que soit leur sort apparent ; parce que le bonheur s’empoisonne dans une ame corrompue comme le plaisir des sens dans un corps mal sain. Mais il est faux que les bons soient tous heureux dès ce monde, & comme il ne suffit pas au corps d’être en santé pour avoir de quoi se nourrir, il ne suffit pas non plus à l’ame d’être saine pour obtenir tous les biens dont elle a besoin. Quoiqu’il n’y ait que les gens de bien qui puissent vivre contens, ce n’est pas à dire que tout homme de bien vive content. La vertu ne donne pas le bonheur, mais elle seule apprend à en jouir quand on l’a : la vertu ne garantit pas des maux de cette vie & n’en procure pas les biens ; c’est ce que ne fait pas non plus le vice avec toutes ses ruses ; mais la vertu fait porter plus patiemment les uns & goûter plus délicieusement les autres. Nous avons donc en tout état de cause un véritable intérêt à la cultiver, & nous faisons bien de travailler pour cet intérêt, quoiqu’il y ait des cas où il seroit insuffisant par lui-même, sans l’attente d’une vie à venir. Voilà mon sentiment sur la question que vous m’avez proposée.

En vous remerciant du bien que vous pensez de moi, je vous conseille pourtant, Monsieur, de ne plus perdre votre tems à me défendre ou à me louer. Tout le bien ou le mal qu’on dit d’un homme qu’on ne connoît point ne signifie pas