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mais nécessaire, que ce bien qui nous est si cher est en péril. Quand je regardois de près à tout cela, je trouvai, je prouvai peut-être, que le sentiment de la mort & celui de la douleur est presque nul dans l’ordre de la nature. Ce sont les hommes qui l’ont aiguisé. Sans leurs rafinemens insensés, sans leurs institutions barbares les maux physiques ne nous atteindroient, ne nous affecteroient gueres, & nous ne sentirions point la mort.

Mais le mal moral ! autre ouvrage de l’homme, auquel Dieu n’a d’autre part que de l’avoir fait libre & en cela semblable n’à lui. Faudra-t-il donc s’en prendre à Dieu des crimes d’hommes & des maux qu’ils leur attirent ? Faudra-t-il en voyant un champ de bataille lui reprocher d’avoir créé tant de jambes & de bras cassés ?

Pourquoi, direz -vous, avoir fait l’homme libre, puisqu’il devoit abuser de si liberté ? Ah, Monsieur de * * *, s’il exista jamais un mortel qui n’en ait pas abusé, ce mortel seul honore plus l’humanité que tous les scélérats qui couvrent la terre ne la dégradent. Mon Dieu ! donne-moi des vertus, & me place un jour auprès des Fenelons, des Catons, des Socrates. Que m’importera le reste du genre -humain ? Je ne rougirai point d’avoir été homme.

Je vous l’ai dit, Monsieur, il s’agit ici de mon sentiment, non de mes preuves & vous ne le voyez que trop. Je me souviens d’avoir jadis rencontré sur mon chemin cette question de l’origine du mal & de l’avoir effleurée ; mais vous n’avez point lu ces rabâcheries, & moi je les ai oubliées : nous avons très- bien fait tous deux. Tout ce que je sais est que