Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t12.djvu/120

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de vertu mon incrédulité supposée, je ne balancerois pas un instant ; & j’aimerois mieux pouvoir dire à Dieu. J’ai fait sans songer à toi le bien qui t’est agréable, & mon cœur suivoit ta volonté sans la connoître, que de lui dire, comme il faudra que je faire un jour. Je t’aimois, & je n’ai cessé de t’offenser ; je t’ai connu & n’ai rien fait pour te plaire.

Il y a, je l’avoue, une sorte de profession de foi que les loix peuvent imposer ; mais hors les principes de la morale & du droit naturel, elle doit être purement négative, parce qu’il peut exister des religions qui attaquent les fondemens de la société & qu’il faut commencer par exterminer ces religions pour assurer la paix de l’État. De ces dogmes à proscrire l’intolérance est sans difficulté le plus odieux, mais il faut la prendre à sa source, car les fanatiques les plus sanguinaires changent de langage selon la fortune & ne prêchent que patience & douceur quand ils ne sont pas les plus forts. Ainsi j’appelle intolérant par principe tout homme qui s’imagine qu’on ne peut être homme de bien sans croire tout ce qu’il croit, & damne impitoyablement ceux qui ne pensent pas comme lui. En effet, les fidelles sont rarement d’humeur à laisser les réprouvés en paix dans ce monde, & un saint qui croit vivre avec des damnés anticipe volontiers sur le métier du Diable. Quant aux incrédules intolérans qui voudroient forcer le peuple à ne rien croire, je ne les bannirois pas moins sévérement que ceux qui le veulent forcer à croire tout ce qu’il leur plaît. Car on voit au zele de leurs décisions, à l’amertume de leurs satires, qu’il ne leur manque que d’être les maîtres pour persécuter tout aussi cruellement les croyans qu’ils sont eux-mêmes persécutés par