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semble avoir pour Dieu même une moralité qui se multiple par le nombre des mondes habités.

Que le cadavre d’un homme nourrisse des vers, des loups, ou des plantes, ce n’est pas, je l’avoue, un dédommagement de la mort de cet homme ; mais si dans le systême de cet univers il est nécessaire à la conservation du genre-humain qu’il y ait une circulation de substance entre les hommes, les animaux & les végétaux, alors le mal particulier d’un individu contribue au bien général ; je meurs, je suis mangé des vers, mais mes enfans, mes freres vivront comme j’ai vécu, mon cadavre engraisse la terre dont ils mangeront les productions, & je fais par l’ordre de la nature & pour tous les hommes ce que firent volontairement Codrus, Curtius, les Décies, les Philenes & mille autres pour une petite partie des hommes.

Pour revenir, Monsieur, au systême que vous attaquez, je crois qu’on ne peut l’examiner convenablement sans distinguer avec soin le mal particulier, dont aucun philosophe n’a jamais nié l’existence, du mal général que nie l’optimisme. Il n’est pas question de savoir si chacun de nous souffre ou non, mais s’il étoit bon que l’univers fût, & si nos maux étoient inévitables dans sa constitution. Ainsi l’addition d’un article rendroit ce semble la proposition plus exacte, & au lieu de tout est bien, il vaudroit peut-être mieux dire, le tout est bien, ou, tout est bien pour le tout. Alors il est très-évident qu’aucun homme ne sauroit donner de preuves directes ni pour ni contre, car ces preuves dépendent d’une connoisance parfaite de la constitution du monde & du but de son Auteur,