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À M. DE VOLTAIRE.

rapport qu’à elles-mêmes, au lieu que toutes celles des corps naturels ſont relatives à d’autres corps & à des mouvemens qui les modifient ; ainſi cela ne prouveroit encore rien contre la préciſion de la nature, quand même nous ſerions d’accord ſur ce que vous entendez par ce mot de préciſion.

Vous diſtinguez les événemens qui ont des effets de ceux qui n’en ont point ; je doute que cette diſtinction ſoit ſolide. Tout événement me ſemble avoir nécessairement quelque effet, ou moral, ou phyſique, ou compoſé des deux, mais qu’on n’apperçoit pas toujours, parce que la filiation des événemens eſt encore plus difficile à ſuivre que celle des hommes. Comme en général, on ne doit pas chercher des effets plus conſidérables que les événemens qui les produiſent, la petiteſſe des cauſes rend ſouvent l’examen ridicule quoique les effets ſoient certains, & ſouvent auſſi pluſieurs effets preſque imperceptibles ſe réuniſſent pour produire un événement conſidérable. Ajoutez que tel effet ne laiſſe pas d’avoir lieu, quoiqu’il agiſſe hors du corps qui l’a produit. Ainſi la pouſſiere qu’éleve un carroſſe peut ne rien faire à la marche de la voiture, & influer ſur celle du monde. Mais comme il n’y a rien d’étranger à l’univers, tout ce qui s’y fait agit néceſſairement sur l’univers même.

Ainsi, Monſieur, vos exemples me paroiſſent plus ingénieux que convaincans. Je vois mille raiſons plauſibles pourquoi il n’étoit peut-être pas indifférent à l’Europe qu’un certain jour, l’héritiere de Bourgogne fût bien ou mal coiffée, ni au deſtin de Rome que Céſar tournât les yeux à droite ou à gauche, & crachât de l’un ou de l’autre côté en allant au