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À M. DE VOLTAIRE.

on diroit que vous craignez que je ne voye pas aſſez combien je ſuis malheureux, & vous croiriez, ce ſemble, me tranquilliſer beaucoup en me prouvant que tout est mal.

Ne vous y trompez pas, Monſieur, il arrive tout le contraire de ce que vous vous propoſez. Cet optimiſme que vous trouvez ſi cruel me console pourtant dans les mêmes douleurs que vous me peignez comme inſupportables. Le Poëme de Pope adoucit mes maux & me porte à la patience ; le vôtre aigrit mes peines, m’excite au murmure, & m’ôtant tout hors une eſpérance ébranlée, il me réduit au déſeſpoir. Dans cette étrange oppoſition qui regne entre ce que vous prouvez & ce que j’éprouve, calmez la perplexité qui m’agite & dites-moi qui s’abuſe, du ſentiment ou de la raison.

« Homme, prends patience, me diſent Pope & Leibniz, les maux ſont un effet néceſſaire de la nature & de la conſtitution de cet univers. L’Être éternel & bienfaiſant qui le gouverne eût voulu t’en garantir : de toutes les économies poſſibles il a choiſi celle qui réuniſſoit le moins de mal & le plus de bien, ou pour dire la même choſe encore plus cruement, s’il le faut, s’il n’a pas mieux fait, c’est qu’il ne pouvoit mieux faire.

Que me dit maintenant votre Poëme ? « Souffre à jamais malheureux. S’il eſt un Dieu, qui t’ait créé, ſans doute il est tout-puissant, il pouvoit prévenir tous tes maux ; n’eſpere donc jamais qu’ils finiſſent ; car on ne ſauroit voir pourquoi tu exiſtes, ſi ce n’eſt pour ſouffrir & mourir ». Je ne ſais ce qu’une pareille doctrine peut avoir de plus conſolant que l’optimiſme & que la fatalité même : pour moi, j’avoue