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Ces sentimens innés que la nature a graves dans tout les cœurs pour consoler l’homme dans ses miseres & l’encourager à la vertu peuvent bien, à force d’art d’intrigues & de sophismes, être étouffés dans les individus, mais prompts à renaître dans les générations suivantes, ils ramèneront toujours l’homme à ses dispositions primitives, comme la semence d’un arbre greffe redonne toujours le sauvageon. Ce sentiment intérieur que nos philosophes admettent quand il leur est commode, & rejettent quand il leur est importun, perce à travers les écarts de la raison, & crie à tous les cœurs que la justice à une autre base que l’intérêt de cette vie, & que l’ordre moral dont rien ici-bas ne nous donne l’idée à son siège dans un système différent qu’on cherche en vain sur la terre, mais ou tout doit être un jour ramene.*

[*De l’utilité de la Religion. Titre d’un beau livre à faire, & bien nécessaire. Mais ce titre ne peut être dignement rempli, ni par un homme d’Eglise ni par un auteur de profession. Il faudroit un homme tel qu’il n’en existe plus de nos jours, & qu’il n’en renaître de long- tems.] La voix de la conscience ne peut pas plus être étouffée dans le cour humain que celle de la raison dans l’entendement, & l’insensibilité morale est tout aussi peu naturelle que la folie.

Ne croyez donc pas que tous les complices d’une trame exécrable puissent vivre & mourir toujours en repos dans leur crime. Quand ceux qui les dirigent n’attiseront plus la passion qui les anima, quand cette passion se sera suffisamment assouvie, quand ils en auront fait périr l’objet dans les ennuis, la nature insensiblement reprendra son empire : ceux qui commirent l’iniquité en sentiront l’insupportable poids quand son souvenir