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qu’il se manifeste le plus surement. Mais dans des situations vives ou l’ame s’exalte involontairement, l’initie distingue bientôt son frere de celui qui sans l’être veut seulement en prendre l’accent, & cette distinction se fait sentir également dans les écrits. Les habitans du monde enchante sont généralement peu de livres, & ne point pour en faire ; ce n’est jamais un métier pour eux. Quand ils en sont il faut qu’ils y soient forces par un stimulant plus sort que l’intérêt & même que la gloire. Ce stimulant, difficile à contenir, impossible à contrefaire, se fait sentir dans tout ce qu’il produit. Quelque heureuse découverte à publier, quelque belle & grande vérité à répandre, quelque erreur générale & pernicieuse à combattre, enfin quelque point d’utilité publique à établir ; voila les seuls motifs qui puissent leur mettre la plume à la main : encore faut-il que les idées en soient assez neuves assez belles assez frappantes pour mettre leur zele en effervescence & le forcer à s’exhaler. Il n’y a point pour cela chez eux de tems ni d’age propre. Comme écrire n’est point pour eux un métier ils commenceront ou cesseront de bonne heure ou tard selon que le stimulant les poussera. Quand chacun aura dit ce qu’il avoit à dire il restera tranquille comme auparavant, sans s’aller fourrant dans le tripot littéraire, sans sentir cette ridicule démangeaison de rabâcher, & barbouiller du papier, qu’on dit être attachée au métier d’auteur, & tel, ne peut-être avec du génie ne s’en doutera pas lui-même & mourra sans être connu de personne, si nul objet ne vient animer son zele au point de le contraindre. à se montrer.