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plus ces souffrances habituelles, cette maigreur, ce teint pale, cet air mourant qu’il eut constamment dix ans de sa vie, c’est-à-dire, pendant tout le tems qu’il se mêla d’écrire, métier aussi funeste à sa constitution que contraire à son goût, & qui l’eut enfin mis au tombeau s’il l’eut continue plus long-tems. Depuis qu’il a repris les doux loisirs de sa jeunesse il en a repris la sérénité ; il occupe son corps & repose sa tête ; il s’en trouve bien à tous égards. En un mot, comme j’ai trouve dans ses livres l’homme de la nature, j’ai trouve dans lui l’homme de ses livres, sans avoir eu besoin de chercher expressément s’il étoit vrai qu’il en fut l’auteur.

Je n’ai eu qu’une seule curiosité que j’ai voulu satisfaire ; c’est au sujet du Devin du Village. Ce que vous m’aviez dit la-dessus m’avoit tellement frappe que je n’aurois pas été tranquille, si je ne m’en fusse particulièrement éclairci. On ne conçoit gueres comment un homme doue de quelque génie & de talens, par lesquels il pourroit aspirer à une gloire méritée, pour se parer effrontément d’un talent qu’il n’auroit pas, iroit se fourrer sans nécessité dans toutes les occasions de montrer la-dessus son ineptie. Mais qu’au milieu de Paris & des artistes les moins disposes pour lui à l’indulgence, un tel homme se donne sans façon pour l’auteur d’un ouvrage,qu’il est incapable de faire ; qu’un homme aussi timide aussi peu suffisant s’érige parmi les maîtres en précepteur d’un art auquel il n’entend rien & qu’il les accuse de ne pas entendre, c’est assurément une chose des plus incroyables que l’on puise avancer. D’ailleurs il y a tant de bassesse à se parer ainsi des dépouilles d’autrui, cette manœuvre suppose tant de pauvreté