Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t11.djvu/292

Cette page n’a pas encore été corrigée

tromper quarante ans tout le monde sur son caractere ; mais pour peu qu’on le tire de sa chere inertie, ce qui par malheur n’est que trop aise, je le défie de cacher à personne ce qui se passe au fond de sort cœur, & c’est néanmoins de ce même naturel aussi ardent qu’indiscret qu’on a tire par un prestige admirable, le plus habile hypocrite & le plus ruse fourbe qui puisse exister.

Cette remarque étoit importante & j’y ai porte la plus grande attention. Le premier art de tous les mechans de tous les mechans est la prudence, c’est-a-dire, la dissimulation. Ayant tant desseins & de sentimens à cacher, ils savent composer leur extérieur, gouverner leurs regards leur air leur maintien, se rendre maîtres des apparences. Ils savent prendre leurs avantages & couvrir d’un vernis de sagesse les noires passions dont ils sont ronges. Les cours vifs sont bouillans emportes, mais tout s’évapore au-dehors ; les mechans sont froids poses, le venin se dépose & se cache au fond de leurs cœurs pour n’agir qu’en tems & lieu ; jusqu’alors rien ne s’exhale, & pour rendre ; l’effet plus grand ou plus sur ils le retardent à leur volonté. Ces différences ne viennent pas seulement des temperamens, mais aussi de la nature des passions. Celles des cœurs ardens & sensibles étant l’ouvrage de la nature, se montrent en dépit de celui qui les a ; leur premiere explosion purement machinale est indépendante de sa volonté. Tout ce qu’il peut faire à force de résistance est d’en arrêter le cours avant qu’elle ait produit son effet, mais non pas avant qu’elle se soit manifestée ou dans ses yeux ou par sa rougeur ou par sa voix ou par son maintien ou par quelque autre signe sensible.

Mais l’amour-propre & les mouvemens qui en dérivent,