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qu’à ses forces, elle échouoit par la faute des autres, & son projet venant à manquer elle étoit ruinée où d’autres n’auroient presque rien perdu. Ce goût des affaires qui lui fit tant de maux, lui fit du moins un grand bien dans son asyle monastique, en l’empêchant de s’y fixer pour le reste de ses jours comme elle en étoit tentée. La vie uniforme & simple des Religieuses, leur petit cailletage de parloir, tout cela ne pouvoit flatter un esprit toujours en mouvement, qui, formant chaque jour de nouveaux systêmes, avoit besoin de liberté pour s’y livrer. Le bon Evêque de Bernex, avec moins d’esprit que François de Sales, lui ressembloit sur bien des points, & Madame de Warens qu’il appelloit sa fille & qui ressembloit à Madame de Chantal sur beaucoup d’autres, eût pu lui ressembler encore dans sa retraite, si son goût ne l’eût détournée de l’oisiveté d’un couvent. Ce ne fut point manque de zele si cette aimable femme ne se livra pas aux menues pratiques de dévotion qui sembloient convenir à une nouvelle convertie vivant sous la direction d’un Prélat. Quel qu’eût été le motif de son changement de religion, elle fut sincere dans celle qu’elle avoit embrassée. Elle a pu se repentir d’avoir commis la faute, mais non pas désirer d’en revenir. Elle n’est pas seulement morte bonne catholique, elle a vécu telle de bonne foi, & j’ose affirmer, moi qui pense avoir lu dans le fond de son ame, que c’étoit uniquement par aversion pour les simagrées qu’elle ne faisoit point en public la dévote. Elle avoit une piété trop solide pour affecter de la dévotion. Mais ce n’est pas ici le lieu de m’étendre sur ses principes ; j’aurai d’autres occasions d’en parler.