LES
CONFESSIONS
DE
J. J. ROUSSEAU.
Autant le moment où l’effroi me suggéra le projet de
fuir m’avoit paru triste, autant celui où je l’exécutai me parut
charmant. Encore enfant, quitter mon pays, mes parens,
mes appuis, mes ressources, laisser un apprentissage à moitié
fait sans savoir mon métier assez pour en vivre ; me livrer
aux horreurs de la misere sans voir aucun moyen d’en sortir ;
dans l’âge de la foiblesse & de l’innocence m’exposer à toutes
les tentations du vice & du désespoir ; chercher au loin les
maux, les erreurs, les piéges, l’esclavage & la mort, sous
un joug bien plus inflexible que celui que je n’avois pu souffrir ;
c’étoit-là ce que j’allois faire, c’étoit la perspective que
j’aurois dû envisager. Que celle que je me peignois étoit différente !
L’indépendance que je croyois avoir acquise étoit le
seul sentiment qui m’affectoit. Libre & maître de moi-même,
je croyois pouvoir tout faire, atteindre à tout : je n’avois qu’à
m’élancer pour m’élever & voler dans les airs. J’entrois avec