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ne suis plus dans la situation ni dans l’âge où je voyais le petit cœur d’un enfant s’épanouir avec le mien. Si cela pouvoit m’arriver encore, ce plaisir devenu plus rare n’en seroit pour moi que plus vif : je l’éprouvois bien l’autre matin par celui que je prenois à caresser les petits du Soussoi, non seulement parce que la bonne qui les conduisoit ne m’en imposoit pas beaucoup & que je sentois moins le besoin de m’écouter devant elle, mais encore parce que l’air jovial avec lequel ils m’aborderent ne les quitta point, & qu’ils ne parurent ni se déplaire ni s’ennuyer avec moi.

Oh ! si j’avois encore quelques momens de pures caresses qui vinssent du cœur ne fût-ce que d’un enfant encore en jaquette, si je pouvois voir encore dans quelques yeux la joie & le contentement d’être avec moi, de combien de maux & de peines ne me dédommageroient pas ces courts mais doux épanchemens de mon cœur ? Ah ! je ne serois pas obligé de chercher parmi les animaux le regard de la bienveillance qui m’est désormais refusé parmi les humains. J’en puis juger sur bien peu d’exemples, mais toujours chers à mon souvenir. En voici un qu’en tout autre état j’aurois oublié presque & dont l’impression qu’il a faite sur moi peint bien toute ma misere.

Il y a deux ans que, m’étant allé promener du côté de la Nouvelle-France, je poussai plus loin, puis, tirant à gauche & voulant tourner autour de Montmartre, je traversai le village de Clignancourt. Je marchais distroit & rêvant sans regarder autour de moi quand tout à coup je me sentis saisir les genoux. Je regarde & je vois un petit enfant de cinq ou