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tueux agite, mais qui rentre dans le calme à l’instant que le vent ne souffle plus. C’est mon naturel ardent qui m’agite, c’est mon naturel indolent qui m’apaise. Je cède à toutes les impulsions présentes, tout choc me donne un mouvement vif & court ; sitôt qu’il n’y a plus de choc, le mouvement cesse rien de communiqué ne peut se prolonger en moi. Tous les événemens de la fortune, toutes les machines des hommes ont peu de prise sur un homme ainsi constitué. Pour m’affecter de peines durables, il faudroit que l’impression se renouvelât à chaque instant. Car les intervalles quelques courts qu’ils soient, suffisent pour me rendre à moi-même. Je suis ce qu’il plaît aux hommes tant qu’ils peuvent agir sur mes sens ; mais au premier instant de relâche, je redeviens ce que la nature a voulu, c’est là, quoi qu’on puisse faire mon état le plus constant & celui par lequel en dépit de la destinée je goûte un bonheur pour lequel je me sens constitué. J’ai décrit cet état dans une de mes rêveries. Il me convient si bien que je ne desire autre chose que sa durée & ne crains que de le voir troublé. Le mal que m’ont fait les hommes ne me touche en aucune sorte, la crainte seule de celui qu’ils peuvent me faire encore est capable de m’agiter ; mais certain qu’ils n’ont plus de nouvelle prise par laquelle ils puissent m’affecter d’un sentiment permanent, je me ris de toutes leurs trames & je jouis de moi-même en dépit d’eux.