Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/472

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.




SEPTIEME PROMENADE.


Le recueil de mes longs rêves est à peine commencé, & déjà je sens qu’il touche à sa fin. Un autre amusement lui succéde, m’absorbe, & m’ôte même le tems de rêver. Je m’y livre avec un engouement qui tient de l’extravagance & qui me fait rire moi-même quand j’y réfléchis ; mais je ne m’y livre pas moins, parce que dans la situation où me voilà, je n’ai plus d’autre regle de conduite que de suivre en tout mon penchant sans contrainte. Je ne peux rien à mon sort, je n’ai que des inclinations innocentes, & tous les jugemens des hommes étant désormais nuls pour moi, la sagesse même veut qu’en ce qui reste à ma portée je fasse tout ce qui me flatte, soit en public, soit à-part-moi, sans autre regle que ma fantaisie, & sans autre mesure que le peu de force qui m’est resté. Me voilà donc à mon foin pour toute nourriture, & à la Botanique pour toute occupation. Déjà vieux j’en avois pris la premiere teinture en Suisse auprès du Docteur d’Ivernois, & j’avois herborisé assez heureusement durant mes voyages pour prendre une connoissance passable du regne végétal. Mais devenu plus que sexagénaire & sédentaire à Paris, les forces commençant à me manquer pour les grandes herborisations, & d’ailleurs assez livré à ma copie de musique pour n’avoir pas besoin d’autre occupation, j’avois abandonné cet amusement qui ne m’étoit plus nécessaire ; j’avois rendu mon herbier, j’avois vendu mes livres, content de revoir quelquefois les plantes communes que je trouvois autour de Paris dans