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ouvrage utile, l’histoire du manuscrit grec n’est qu’une fiction très-innocente ; elle est un mensonge très-punissable si l’ouvrage est dangereux.

Telles furent mes règles de conscience sur le mensonge & sur la vérité. Mon cœur suivoit machinalement ces règles avant que ma raison les eût adoptées, & l’instinct moral en fit seul l’application. Le criminel mensonge dont la pauvre Marion fut la victime m’a laissé d’ineffaçables remords qui m’ont garanti tout le reste de ma vie non seulement de tout mensonge de cette espèce, mais de tous ceux qui, de quelque façon que ce pût être, pouvoient toucher l’intérêt & la réputation d’autrui. En généralisant ainsi l’exclusion je me suis dispensé de peser exactement l’avantage & le préjudice, & de marquer les limites précises du mensonge nuisible & du mensonge officieux ; en regardant l’un & l’autre comme coupables, je me les suis interdits tous les deux.

En ceci comme en tout le reste mon tempérament a beaucoup influé sur mes maximes, ou plutôt sur mes habitudes ; car je n’ai guère agi par règle ou n’ai guère suivi d’autres règles en toute chose que les impulsions de mon naturel. Jamais mensonge prémédité n’approcha de ma pensée, jamais je n’ai menti pour mon intérêt, mais souvent j’ai menti par honte, pour me tirer d’embarras en choses indifférentes ou qui n’intéressoient tout au plus que moi seul, lorsqu’ayant à soutenir un entretien la lenteur de mes idées & l’aridité de ma conversation me forçoient de recourir aux fictions pour avoir quelque chose à dire. Quand il faut nécessairement parler & que des vérités amusantes ne se présentent pas assez-