Dans le petit nombre de livres que je lis quelquefois encore,
Plutarque est celui qui m’attache & me profite le plus.
Ce fut la premiere lecture de mon enfance, ce sera la derniere
de ma vieillesse ; c’est presque le seul Auteur que je n’ai
jamais lu sans en tirer quelque fruit. Avant-hier je lisois dans
ses œuvres morales le traité, comment on pourra tirer utilité
de ses ennemis ? Le même jour en rangeant quelques brochures
qui m’ont été envoyées par les Auteurs, je tombai sur
un des journaux de l’Abbé R***, au titre duquel il avoit mis
ces paroles vitam vero impendenti, R***. Trop au fait des tournures
de ces Messieurs, pour prendre le change sur celle-là, je
compris qu’il avoit cru sous cet air de politesse me dire une
cruelle contre-vérité : mais sur quoi fondé ? Pourquoi ce sarcasme ?
Quel sujet y pouvois-je avoir donné ? Pour mettre à
profit les leçons du bon Plutarque, je résolus d’employer à
m’examiner sur le mensonge, la promenade du lendemain,
& j’y vins bien confirmé dans l’opinion déjà prise que, le
connois-toi toi-même du temple de Delphes n’étoit pas une
maxime si facile à suivre, que je l’avois cru dans mes Confessions.
Le lendemain m’étant mis en marche pour exécuter cette résolution, la premiere idée qui me vint en commençant à me recueillir, fut celle d’un mensonge affreux fait dans ma premiere jeunesse dont le souvenir m’a troublé toute ma vie, & vient jusques dans ma vieillesse contrister encore mon cœur