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occasion sur le tribut d’outrages & d’indignités qu’on prépare à ma mémoire après ma mort, en forme d’oraison funebre.

Cette nouvelle fut accompagnée d’une circonstance encore plus singuliere que je n’appris que par hasard, & dont je n’ai pu savoir aucun détail. C’est qu’on avoit ouvert en même-tems une souscription pour l’impression des manuscrits que l’on trouveroit chez moi. Je compris par là qu’on tenoit prêt un recueil d’écrits fabriqués tout exprès pour me les attribuer d’abord après ma mort : car de penser qu’on imprimât fidellement aucun de ceux qu’on pourroit trouver en effet, c’étoit une bêtise qui ne pouvoit entrer dans l’esprit d’un homme sensé, & dont quinze ans d’expérience ne m’ont que trop garanti.

Ces remarques, faites coup sur coup & suivies de beaucoup d’autres qui n’étoient gueres moins étonnantes, effaroucherent derechef mon imagination que je croyois amortie, & ces noires ténebres qu’on renforçoit sans relâche autour de moi, ranimerent toute l’horreur qu’elles m’inspirent naturellement. Je me fatiguai à faire sur tout cela mille commentaires, & à tâcher de comprendre des mysteres qu’on a rendus inexplicables pour moi. Le seul résultat constant de tant d’énigmes fut la confirmation de toutes mes conclusions précédentes, savoir, que la destinée de ma personne, & celle de ma réputation ayant été fixées de concert par toute la génération présente, nul effort de ma part ne pouvoit m’y soustraire, puisqu’il m’est de toute impossibilité de transmettre aucun dépôt à d’autres âges sans le faire passer dans celui-ci par des mains intéressées à le supprimer.