DEUXIEME PROMENADE.
Ayant donc formé le projet de décrire l’état habituel de mon ame dans la plus étrange position où se puisse jamais trouver un mortel, je n’ai vu nulle maniere plus simple & plus sure d’exécuter cette entreprise, que de tenir un régistre fidelle de mes promenades solitaires & des rêveries qui les remplissent, quand je laisse ma tête entiérement libre, & mes idées suivre leur pente sans résistance & sans gêne. Ces heures de solitude & de méditation sont les seules de la journée, où je sois pleinement moi, & à moi sans diversion, sans obstacle, & où je puisse véritablement dire être ce que la nature a voulu.
J’ai bientôt senti que j’avois trop tardé d’exécuter ce projet. Mon imagination déjà moins vive, ne s’enflamme plus comme autrefois à la contemplation de l’objet qui l’anime, je m’enivre moins du délire de la rêverie ; il y a plus de réminiscence que de création dans ce qu’elle produit désormais, un tiede allanguissement énerve toutes mes facultés, l’esprit de vie s’éteint en moi par degrés ; mon ame ne s’élance plus qu’avec peine hors de sa caduque enveloppe, & sans l’espérance de l’état auquel j’aspire parce que je m’y sens avoir droit, je n’existerois plus que par des souvenirs. Ainsi pour me contempler moi-même avant mon déclin, il faut que je remonte au moins de quelques années au tems où perdant tout espoir ici-bas, & ne trouvant plus d’aliment pour mon cœur sur la terre, je m’accoutumois peu-à-peu à le