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pour moi. Si dans mes plus vieux jours, aux approches du départ, je reste, comme je l’espere, dans la même disposition où je suis, leur lecture me rappellera la douceur que je goûte à les écrire, & faisant renaître ainsi pour moi le tems passé, doublera pour ainsi dire mon existence. En dépit des hommes je saurai goûter encore le charme de la société, & je vivrai décrépit avec moi dans un autre âge, comme je vivrois avec un moins vieux ami.

J’écrivois mes premieres Confessions & mes Dialogues dans un souci continuel sur les moyens de les dérober aux mains rapaces de mes persécuteurs, pour les transmettre, s’il étoit possible à d’autres générations. La même inquiétude ne me tourmente plus pour cet écrit, je sais qu’elle seroit inutile, & le desir d’être mieux connu des hommes s’étant éteint dans mon cœur, n’y laisse qu’une indifférence profonde sur le sort & de mes vrais écrits, & des monumens de mon innocence, qui déjà peut-être ont été tous pour jamais anéantis. Qu’on épie ce que je fais, qu’on s’inquiete de ces feuilles, qu’on s’en empare, qu’on les supprime, qu’on les falsifie, tout cela m’est égal désormais. Je ne les cache ni ne les montre. Si on me les enleve de mon vivant, on ne m’enlevera ni le plaisir de les avoir écrites, ni le souvenir de leur contenu, ni les méditations solitaires dont elles sont le fruit, & dont la source ne peut ne s’éteindre qu’avec mon ame. Si dès mes premieres calamités j’avois su ne point regimber contre ma destinée, & prendre le parti que je prends aujourd’hui, tous les efforts des hommes, toutes leurs épouvantables machines eussent été sur moi sans effet, & ils n’au-