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lui en devins plus attaché & cela me fit prolonger mon séjour dans sa maison plus que je n’aurois fait sans cela. Mais enfin dégoûté d’un métier auquel je n’étois pas propre & d’une situation très-gênante qui n’avoit rien d’agréable pour moi, après un an d’essai durant lequel je n’épargnai point mes soins, je me déterminai à quitter mes disciples, bien convaincu que je ne parviendrois jamais à les bien élever. M. de Mably lui-même voyoit cela tout aussi bien que moi. Cependant je crois qu’il n’eût jamais pris sur lui de me renvoyer si je ne lui en eusse épargné la peine & cet excès de condescendance en pareil cas n’est assurément pas ce que j’approuve.

Ce qui me rendoit mon état plus insupportable, étoit la comparaison continuelle que j’en faisois avec celui que j’avois quitté : c’étoit le souvenir de mes cheres Charmettes, de mon jardin, de mes arbres, de ma fontaine, de mon verger & sur-tout de celle pour qui j’étois né qui donnoit de l’ame à tout cela. En repensant à elle, à nos plaisirs, à notre innocente vie, il me prenoit des serremens de cœur, des étouffemens qui m’ôtoient le courage de rien faire. Cent fois j’ai été violemment tenté de partir à l’instant & à pied pour retourner auprès d’elle ; pourvu que je la revisse encore une fois j’aurois été content de mourir à l’instant même. Enfin je ne pus résister à ces souvenirs si tendres qui me rappelloient auprès d’elle à quelque prix que ce fût. Je me disois que je n’avois pas été assez patient, assez complaisant, assez caressant, que je pouvois encore vivre heureux dans une amitié très-douce en y mettant du mien plus que je n’avois fait. Je forme les plus beaux projets du monde, je brûle de les exécuter. Je