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Quoique foible je repris mes fonctions champêtres, mais d’une maniere proportionnée à mes forces. J’eus un vrai chagrin de ne pouvoir faire le jardin tout seul ; mais quand j’avois donné six coups de bêche, j’étois hors d’haleine, la sueur me ruisseloit, je n’en pouvois plus. Quand j’étois baissé, mes battemens redoubloient & le sang me montoit à la tête avec tant de force, qu’il falloit bien vîte me redresser. Contraint de me borner à des soins moins fatigans, je pris entr’autres celui du colombier & je m’y affectionnai si fort que j’y passois souvent plusieurs heures de suite sans m’y ennuyer un moment. Le pigeon est fort timide & difficile à apprivoiser. Cependant je vins à bout d’inspirer aux miens tant de confiance, qu’ils me suivoient par-tout & se laissoient prendre quand je voulois. Je ne pouvois paroître au jardin ni dans la cour sans en avoir à l’instant deux ou trois sur les bras, sur la tête ; & enfin malgré tout le plaisir j’y prenois, ce cortege me devint si incommode, que je fus obligé de leur ôter cette familiarité. J’ai toujours pris un singulier plaisir à apprivoiser les animaux, sur-tout ceux qui sont craintifs & sauvages. Il me paroissoit charmant de leur inspirer une confiance que je n’ai jamais trompée. Je voulois qu’ils m’aimassent en liberté.

J’ai dit que j’avois apporté des livres. J’en fis usage ; mais d’une maniere moins propre à m’instruire qu’à m’accabler. La fausse idée que j’avois des choses, me persuadoit que pour lire un livre avec fruit il falloit avoir toutes les connoissances qu’il supposoit, bien éloigné de penser que souvent l’Auteur ne les avoit pas lui-même & qu’il les puisoit