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de M. le Proto-médecin, pour donner à son égard le ton qu’on n’auroit pas pris de tout autre. Claude Anet avec un habit noir, une perruque bien peignée, un maintien grave & décent, une conduite sage & circonspecte, des connoissances assez étendues en matiere médicale & en botanique & la faveur d’un chef de la Faculté, pouvoit raisonnablement espérer de remplir avec applaudissement la place de Démonstrateur Royal des plantes, si l’établissement projeté avoit lieu & réellement Grossi en avoit goûté le plan, l’avoit adopté & n’attendoit pour le proposer à la Cour que le moment où la paix permettroit de songer aux choses utiles & laisseroit disposer de quelque argent pour y pourvoir.

Mais ce projet dont l’exécution m’eût probablement jetté dans la botanique pour laquelle il me semble que j’étois né, manqua par un de ces coups inattendus qui renversent les desseins les mieux concertés. J’étois destiné à devenir par degrés un exemple des miseres humaines. On diroit que la Providence qui m’appelloit à ces grandes épreuves, écartoit de sa main tout ce qui m’eût empêché d’y arriver. Dans une course qu’Anet avoit fait au haut des montagnes pour aller chercher du Génipi, plante rare qui ne croît que sur les Alpes & dont M. Grossi avoit besoin, ce pauvre garçon s’échauffa tellement qu’il gagna une pleurésie dont le Génipi ne put le sauver, quoiqu’il y soit, dit-on, spécifique ; malgré tout l’art de Grossi, qui certainement étoit un très habile homme, malgré les soins infinis que nous prîmes de lui sa bonne maîtresse & moi, il mourut le cinquieme jour entre nos mains après la plus cruelle agonie, durant laquelle il n’eut d’autres